« La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents »

 
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Du tsunami aux torrents

Cette semaine, un chef d’entreprise me disait : « La pandémie du Covid-19 est un tsunami qui, quand la vague va se retirer, ne laissera pas place au calme mais à de très nombreux tourbillons ». Sa métaphore a déclenché chez moi 2 réflexions…

… En effet, nous sommes depuis déjà quelques années dans le monde VICA où les eaux tumultueuses, les turbulences sont permanentes et les chocs imprévisibles. Espérons que la prise de conscience, qu’il s’agit d’une nouvelle donne avec laquelle nous devons vivre et non chercher à retrouver la stabilité, sera massive et définitive.

… Les tourbillons m’ont fait penser aux torrents et à la phrase de Boris Cyrulnik « La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents ». Face à la catastrophe actuelle, nous avons besoin d’être résilients, nos entreprises ont besoin d’être résilientes, actuellement et plus encore après la phase de confinement.

 

Résilience ?

La physique des matériaux, berceau du concept de résilience, en donne la définition suivante : « la résistance des matériaux soumis à un choc élevé et la capacité pour une structure d’absorber l’énergie cinétique du milieu sans se rompre ». Les psychologues (notamment Emmy Werner, Michel Lemay) et bien sûr Boris Cyrulnik s’en sont emparés pour le transposer à l’individu et le populariser à partir des années 90. Puis l’extrapolation s’est orientée vers les entreprises avec la notion de résilience organisationnelle - la capacité d’une organisation à faire face à une épreuve, à la surmonter, à rebondir, voire à en tirer parti pour la transformer en opportunités.

A l’instar des matériaux, les organisations subissent des chocs élevés dont elles doivent absorber l’onde sans casser et profiter de l’énergie libérée par l’ébranlement.

 

Trois idées fausses (parmi d’autres) sur la résilience organisationnelle

1. « Un nombre important de collaborateurs résilients fait une entreprise résiliente. »
La capacité individuelle, même massivement présente, ne suffit pas. Elle ne peut remplacer la dynamique collective ; à l’instar de la juxtaposition des compétences qui ne peut garantir la performance collective. Sans oublier qu’une entreprise a besoin d’une organisation pour potentialiser les contributions.

2. « Une entreprise est résiliente ou pas : c’est la caractéristique de certaines entreprises. »
La résilience est pour partie innée, pour partie acquise. Ce qui signifie que certains facteurs de résilience peuvent être travaillés pour développer la capacité à dépasser une crise, non pas en la niant pour l’effacer mais en s’en emparant pour en tirer des enseignements et lui donner du sens.

3. « C’est dans l’adversité que l’entreprise doit s’intéresser à sa capacité de résilience. »
Il s’agit du moment où elle a conscience d’en avoir besoin…ce qui est différent. C’est au long cours, hors des crises aigues, que l’entreprise doit s’interroger et progresser dans sa capacité de résilience pour en bénéficier pleinement lors de situations critiques. D’autant qu’aujourd’hui l’incertitude est permanente et nos prévisions sont déjouées régulièrement quant à savoir quand et d’où viendra le prochain « coup du sort ».

 

L’entreprise résiliente sait naviguer dans les torrents !

Comment développer la résilience organisationnelle ? Nous avons déjà esquissé des pistes dans ce qui précède… Pour aller plus loin, 3 leviers à activer – en faisant référence à la photo qui illustre cet article
  • Des processus robustes – la barque qui permet de naviguer dans les torrents
    Robuste n’est pas rigide. Robuste, c’est le roseau qui plie mais ne rompt point (la modernité de La Fontaine !). Dans une entreprise résiliente, les processus sont structurants dans leurs principes et leurs étapes clés, ET agiles dans leur application pour s’ajuster à une réalité mouvante. Cela signifie qu’ils visent l’essentiel
    • par leur nombre limité au « juste nécessaire ». Une révision des processus s’impose pour les passer à ce tamis avec les gens du métier concerné qui connaissent le « travail réel » et ses aléas.
    • par les marges de manœuvre laissées aux acteurs de terrain. Ce qui nécessite qu’ils aient compris les principes régissant les processus pour les appliquer dans leur esprit et non à la lettre. Récemment, un article de la Harvard Business Review parlait de « vide encadré » pour désigner ce type d’autonomie.
  • Des collectifs fondés sur l’altruisme – les hommes qui agissent en coopération pour naviguer
    Le collectif protège car notamment il permet l’expression et l’échange. Parler d’un événement difficile, partager son vécu aident à prendre de la distance et à dépasser son ressenti pour rebondir et se mettre en dynamique. Certaines entreprises ou certains métiers sont habitués aux retours d’expérience, aux débriefings, aux pratiques « post crise ». Il convient d’aller plus loin en facilitant les échanges informels, en ritualisant des moments clés, en organisant des discussions, en développant la culture de la confrontation des pratiques, des expériences…
    Ce développement des collectifs repose sur l’altruisme, c’est-à-dire la disponibilité pour les autres.
  • Du sens ou plutôt des sens – le cap qui guide la navigation dans les torrents
    Le sens, c’est la direction dans laquelle va l’entreprise, donnée par sa vision, par sa stratégie : le « grand sens » qui ruisselle très souvent de la Direction Générale vers les opérationnels. Ce sens est nécessaire pour éclairer, pour expliciter les orientations qui ont été choisies, pour s’assurer qu’elles peuvent signifier quelque chose de concret pour ceux qui sont proches du terrain.
    Mais il n’est pas suffisant car presque aussi souvent il est perçu comme éloigné de la réalité quotidienne. C’est pourquoi il est utile de le compléter en sollicitant les « petits sens » de chacun des collaborateurs de l’entreprise : ce que cela signifie concrètement pour lui dans son métier, ce qui l’anime, où il voit sa valeur ajoutée, ce dont il est fier.

 

 

J’emprunte l’expression à Mathieu Detchessahar, professeur à l’Université de Nantes.