Le Monde d’Après : le ET et les équilibres transitoires

 
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Le confinement et le déconfinement nous ont rendu familiers du dilemme auquel le Gouvernement a fait face : privilégier le sanitaire ou l’économie. Olivier Sibony ajoute les libertés individuelles et parle lui d’un trilemme.
Mi-mars, l’ampleur de l’épidémie fait opter pour le sanitaire. Au fil des semaines de confinement, l’économie fait entendre sa voix avec les chiffres du chômage partiel, des milliards investis et le risque de faillite d’entreprises. Le 11 mai, le déconfinement se fait sous l’égide du ET : poursuivre nos efforts pour casser la chaîne de contamination ET reprendre le travail. Les mesures annoncées et les débats qu’elles suscitent nous montrent combien le dosage entre les deux est complexe, précaire même puisqu’un retour à des mesures plus contraignantes pourrait intervenir.

Cette nécessité d’intégrer des logiques qui semblent à première vue contradictoires, inconciliables existent depuis longtemps mais grandit au fur et à mesure que la complexité et l’incertitude du monde augmentent, que nous vivons dans le monde VICA (Volatil, Incertain, Complexe, Ambigu).

L’entreprise, à l’instar de la société, est confrontée quotidiennement à ces paradoxes : marge/chiffre d’affaires, procédures/autonomie, individuel/collectif, global/local, care/performance… Je vous laisse allonger la liste en fonction de votre réalité.

Ces paradoxes se présentent comme une mise en tension entre 2 pôles qui ne sont pas des entités indépendantes mais en interaction. A ce titre, Anne Beauvillard* les nomment des « dialogies ». Le préfixe « dia », qui signifie « à travers », indique un processus, une traversée comme dans « dialogue » (discours entre 2 personnes) ou « diagonale » (ligne qui relie les angles à travers une figure). Ces dialogies ne sont pas à supprimer ou à résoudre car, comme toutes les mises en tension, elles sont fertiles.

Le OU exclusif du « l’un ou l’autre » ne suffit plus, ne suffira plus… Reste la question ardue du « comment faire ». 2 voies s’ouvrent à nous pour inventer des solutions : le ET et les équilibres transitoires.

  • Le ET « tricote » des solutions qui articulent les 2 pôles d’une tension
Le ET peut sembler impossible car il oblige à décaler sa manière de penser, à changer des habitudes ancrées depuis longtemps dans nos raisonnements : « Tu ne peux pas avoir les 2. Il faut choisir ! »
Le ET ne réside pas dans des solutions artificielles qui juxtaposent sans relier, qui n’articulent pas vraiment les 2 pôles ou qui sont des consensus mous, des « un peu des 2 », sans réelle consistance. Il s’agit véritablement de trouver une façon originale de tisser ensemble pour un résultat novateur, un résultat qui possède une logique propre, qui apporte une valeur ajoutée inédite jusque-là.
Le 1er exemple industriel de cette façon décalée de répondre à une problématique intervient en 1993 quand Renault innove avec la Twingo : elle sera petite à l’extérieur ET grande à l’intérieur ! Tel est le pitch que les ingénieurs chargés de sa conception recevait au démarrage du projet. Le succès fut immédiat car elle se garait dans « un mouchoir de poche » et elle servait à déménager !

  • Les équilibres transitoires répondent à la dynamique du vivant

L’équilibre est l’état de ce qui est soumis à des forces qui se compensent. Il est en mouvement pour s’adapter à l’écosystème dans lequel il évolue. Et l’entreprise, comme la société, est un système vivant qui bouge continuellement car elle est composée d’individus et de collectifs.
Or, dans nos représentations courantes, on associe souvent l’équilibre à la stabilité, voire à la permanence. J’emploie régulièrement l’expression « équilibre instable » pour marquer les esprits et faire comprendre comment tout système est en mouvement.
« Equilibre transitoire », lui insiste sur les positions successives d’équilibre, qui répondent à une situation, à des enjeux, à une stratégie qui changent. Plus l’environnement bouge, plus les équilibres transitoires vont se multiplient. Ce qui peut être déroutant ; les différentes positions prises donnant l’impression d’agir au gré du vent sans stratégie, « d’être une girouette », de se contredire, de ne pas savoir… !
En France, avant la crise du Covid, chaque entreprise avaient trouvé un point d’équilibre entre travail en présentiel et télétravail, en réponse à la demande de ses salariés, aux tendances sociétales, aux priorités de sa Direction, aux impératifs de son secteur d’activité… Un équilibre très différent d’une entreprise à l’autre et qui parfois avait évolué au fil des expérimentations, des négociations… Déjà des équilibres transitoires. Le confinement les a bousculés en quelques heures en donnant une priorité absolue au télétravail pour quelques mois. On nous prédit que rien ne sera plus comme avant…
De nouveaux équilibres transitoires sont et seront à inventer dans ce domaine comme pour l’ensemble du monde du travail.

 

 

Institut des Territoires Coopératifs